Mouchette | NT2

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L’œuvre « Mouchette.org » propose à l’internaute de découvrir le personnage Mouchette et d’explorer des questions profondes, ici traitées de manière ironique et légère, portant sur des sujets aussi troublants que la sexualité enfantine, le suicide, le meurtre, etc. L’œuvre s’inspire certainement du film culte de Robert Bresson, « Mouchette », qui était déjà une adaptation cinématographique du roman de Georges Bernanos, « Nouvelle histoire de Mouchette ». Cette nouvelle interprétation hypermédiatique offre une structure plus qu’un récit afin d’engager l’internaute dans des actions concrètes (réfléchir, répondre à Mouchette, engager un dialogue par courriel avec Mouchette, incarner Mouchette, etc.).

AUTEURE, AUTEUR DE L’ENTRÉE

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L’œuvre Mouchette propose à l’internaute de découvrir le personnage de Mouchette, fillette de 13 ans inspirée du personnage principal du film éponyme de Robert Bresson. Toutefois, la version Web engage l’internaute davantage dans une structure que dans un récit: escorté de Mouchette — personnalisée par une petite mouche se baladant sur l’écran —, l’internaute doit poser des actions concrètes telles que répondre à Mouchette, engager un dialogue avec elle, obéir à ses ordres et même l’incarner. Alors que dans l’œuvre de Bresson, Mouchette est une enfant violée au père alcoolique et à la mère mourante, elle devient, dans l’œuvre de Neddam, une adolescente hollandaise morbide et suicidaire.

La navigation dans l’œuvre, rendue labyrinthique par les nombreux hyperliens dissimulés, porte graduellement l’internaute à la rencontre de la jeune fille qui l’encourage à poser des gestes pernicieux comme tuer un chat, écraser une mouche, la conseiller sur la meilleure façon de se suicider à 13 ans ou même coller sa langue à la sienne. Un glissement s’effectue subrepticement: l’internaute ne s’amuse plus à explorer le site Web d’une enfant de 13 ans à l’esthétique volontairement kitsch; il se retrouve confronté aux questions difficiles que sont le viol, le suicide, la sexualité précoce et le meurtre. Neddam alimente ce malaise en parsemant l’oeuvre d’images et de sons suggestifs.

Passionnée par la performativité du langage, Neddam a trouvé avec Internet un espace de liberté (surtout à l’époque de la création de Mouchette) qui lui «permettait de mettre en scène le langage et la participation par le langage et en même temps de créer la vie, de simuler la vie à travers un personnage.»[1] Elle a donc longtemps gardé l’anonymat, conservant la crédibilité de Mouchette en tant qu’unique auteure de «Mouchette.org», site qui reproduit l’aspect de la page personnelle en suivant la logique du journal intime. C’est là l’un des principaux enjeux de l’œuvre de Neddam: le brouillage délibéré des sphères publique et intime. En sollicitant directement les internautes, leur demandant leur courriel, intégrant leurs réponses à l’œuvre, les rendant coupables de certaines actions (d’avoir tué son chat, par exemple), le personnage de Mouchette transforme le Web, espace essentiellement public, en un espace intime — espace qui, malgré tout, permet la diffusion publique d’informations plus personnelles. Que l’internaute soit conscient ou non du caractère fictionnel de Mouchette importe finalement peu. Il se crée inévitablement une relation de réciprocité entre le dispositif interactif — Mouchette — et celui qui le consulte — l’internaute — puisque ce dernier devient partie intégrante de l’œuvre qui, elle, repose sur son acceptation «d’une mythographie artistique et d’une identité fabriquée pour qu’il se prête au jeu et libère ses émotions en ajoutant ses propres fantasmes à la construction du personnage.»[2]

Ce n’est pas sans raison que l’œuvre de Neddam a été très commentée dans le milieu des arts hypermédiatiques. Non seulement a-t-elle exploré des concepts fondamentaux du net.art, tels que l’interactivité et l’identité fictionnelle, mais elle l’a fait via les thématiques très connotées que sont le suicide et la pornographie infantile. À sa création, le site a soulevé les passions. Des parodies du site se sont multipliées, le style de Mouchette a été imité, l’œuvre a même été censurée par la veuve de Bresson qui n’appréciait par l’utilisation des images du film sur le site… Un site Web anti-mouchette a même vu le jour [3], mais encore une fois, impossible de savoir s’il était l’œuvre de Neddam ou celle d’internautes outrés par l’insensibilité deMouchette. Aujourd’hui, l’anonymat de Neddam a été levé, maisMouchette demeure une œuvre centrale dans le paysage hypermédiatique de par le vaste discours critique qui lui est consacré ainsi que par le nombre d’œuvres ultérieures s’inscrivant dans son sillage. D’ailleurs, Neddam elle-même n’a cessé d’être fascinée par la possibilité de performativité du langage qu’offrent les personnages virtuels puisque, à la suite de Mouchette, elle a continué à travailler sur deux nouvelles identités fictionnelles: David Still[4] et Xiao Quian[5]. Finalement, même si la fonction courriel n’est plus aussi active qu’aux débuts du site, il est encore possible d’écrire à Mouchette, de lui proposer les meilleurs idées de suicide et de voir, suite à des remerciements courriels de la part de la principale intéressée, lesdites suggestions affichées dans la section forum.

 

[1] Item (03/2008) «Martine Neddam». En ligne: http://www.item.uqam.ca/mai2008/neddam.html (consulté le 8 juillet 2010)

[2] Fourmentraux, Jean-Paul (01/2008) «La création au risque d’Internet», Ethnologie française. En ligne: http://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=ETHN_081_0059 (consulté le 15 juillet 2010)

[3] http://www.ihatemouchette.org/

[4] www.davidstill.org

[5] http://turbulence.org/Works/XiaoQian/

http://nt2.uqam.ca/repertoire/mouchette/media (les images du site)



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