Mouchette passe le mur du musée


Mouchette passe le mur du musée
, par Aude Crispel in Poptronics

< 17’09’07 > Mouchette et ses amis imaginaires investissent pendant deux mois le Musée d’art contemporain de Siegen, en Allemagne.

Mouchette passe le mur du musée

Dix ans déjà que Mouchette a 13 ans pour toujours. Depuis 1996, l’adolescente mal dans sa peau, habitant Amsterdam est une fiction créée par un(e) artiste bien réelle à l’identité mystérieuse. Bardée de prix et d’une aura de respectabilité nouveaux-médias (Cynet Art Award, New Media Award du Split Film FestivalFlashfestivalPS1…), Mouchette est attendue IRL (in real life, l’opposé des vies « virtuelles »), en Allemagne, dans le cadre de Knotenpunkte / nodes 2007 (nœuds, intersections, points de rencontres ou nodules, au choix). Manière de coller au réseau, ils sont sept artistes numériques à présenter leurs réalisations dans sept musées différents de la Rhénanie du Nord-Westphalie. Pour Mouchette, « c’est un vrai challenge que d’exposer dans un musée, mais j’ai envie de relever le défi à fond, en accrochant des “mouchettes” au mur, des œuvres de texte sur des écrans plasma… »

Le défi n’est pas sans paradoxe. Qu’exposer quand tout le monde peut explorer l’univers de Mouchette avec une simple connexion ? Depuis le 16 septembre et pendant deux mois, pour « To be or not to be Mouchette », trois moniteurs plats à écran très larges (1,80 x 1,20 mètres) prennent place sur les murs du Musée d’art contemporain de Siegen. Chacun diffuse une animation originale que Mouchette a composée pour l’occasion. Elle s’attaque cette fois aux salons de chat pour avatars, mettant en scène trois d’entre eux, sur fonds d’écran en images 2D pixélisées, avec bulles de BD pour laisser les personnages s’exprimer, et y reprend la discussion amorcée dans son « Kit de suicide ». Un questionnaire adressé aux internautes, mis en ligne en 1998, qui interrogeait crûment : « Quelle est la meilleure forme de suicide pour les moins de 13 ans ? » Sans clavier ni souris, le spectateur se contente d’observer la fenêtre numérique sans prendre part au dialogue.

Le discours, les mots et l’échange : voilà la base plastique et esthétique du travail de Mouchette. Bien avant la folie des blogs et autres MySpace du Web 2.0, l’artiste jouait de la proximité, la confiance et l’intimité qui passent sur le réseau sans contact physique (ni identité vérifiable). Une amie imaginaire qui offre un espace d’expression via les très nombreux formulaires du site, le tout couplé à une esthétique qui rappelle les premières pages perso du Net. Une manière de capter nos peurs, nos angoisses, nos conflits, nos doutes…

Pourtant, à deux mètres de recul, sans interaction possible, Mouchette ne perd-elle pas une partie de son âme ? Il n’en est rien, puisque même à cette distance, Mouchette réussit à scénariser ces mots recueillis, comme une source intarissable d’inspiration. Puisant dans cette « base de données » humaine, elle exerce son art dans ce qu’elle fait le mieux : recomposer et assembler des petits films à l’esthétique sobre, pixélisée, un brin low-tech. On croyait le net-art inexposable. Mouchette, lucide, apporte sa réponse au problème : « Disons que c’est comme ce que le film ou la vidéo ont fait pour la performance. Cela conserve une trace, qui est elle-même remise en forme, pour être recevable dans la situation du musée. » A côté du témoignage animé de ses net-œuvres, de vrais écrans d’ordinateurs connectés à Internet permettront aux spectateurs curieux de poursuivre l’expérience cette fois-ci « in virtual life ».

Pour relever le défi, Sascha BüttnerJens BrandRichard KriescheCarlo ZanniIlona J. Plattner et Cornelia Sollfrank accompagnent Mouchette. La fenêtre d’Alberti, ce révolutionnaire de la façon de regarder (1435 : le tableau est une fenêtre), serait-elle en train de s’ouvrir sur le monde numérique ?

aude crispel
  
< 3 > commentaires
écrit le < 17’09’07 > 
disons que mouchette est un rêve d’adolescente passée à l’age adulte, l’age de l’internet : c’est cohérent et c’est un signal fort qui sera je l’espere repris par la France, on peut rêver 🙂 Dans le même temps, y’en a marre de cette position d’anti-chambre imposé à l’art numérique qui fait que chaque évenement est vu comme une avançé : on attend ce jour en secret, presque comme une défloraison, le prince charmant est là, youpi : LE MUSEE, le systeme m’a enfin récuperé, enfin j’ai ma place dans l’histoire de l’art…si mouchette était coherente avec le milieu dans lequel elle nage depuis sa naissance, elle inviterait tout les médias artistes à foutre le bordel, histoire de montrer de quoi est capable un reseau en expansion dans l’univers réel.mais là on rêve encore, non ? mou7
écrit le < 17’09’07 > par < annick.rivoire pyt poptronics.fr >
C’est plutôt le problème de l’invisibilité du monde réseau dans le monde réel qui se pose en général. On a parlé de Mouchette quand la veuve Bresson avait attaqué le site pour contrefaçon (Mouchette est le titre d’un film de Bresson de 1967 qui raconte l’histoire d’une jeune fille… là s’arrête la comparaison). Il ne faudrait pas non plus généraliser et jouer les pleureuses dès qu’il s’agit de net-art. En Allemagne ou aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne et en Espagne, cela fait partie du paysage culturel, les expos d’artistes venus du Net. C’est en France que les choses sont aussi tranchées, comme s’il y avait un fossé bien réel, lui, entre le monde physique et le monde des réseaux.Enfin, on ne s’émerveille pas de voir le net-art exposé au musée, mais on s’intéresse à la façon dont le net-art sort du réseau pour aller sur les murs, dans des lieux physiques, qu’en reste-t-il et quelle est sa substance, une fois retirée l’interactivité, la dimension rhyzomatique de ces créations ? Question que ne tranche pas vraiment Mouchette, d’ailleurs…
écrit le < 18’09’07 > 
Ce n’était pas une attaque personelle ni sur l’article mais plus un état de fait psychologique ambiant qui mine parfois !!! vous avez raison sur le constat


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