Geneviève Vidal

comm_v24n1

Art & Web

Revue COMMUNICATION
Vol. 24/1 | 2005

En s’appropriant Internet, les artistes diversifient les facettes de l’interactivité, ce qui n’est pas sans plaire aux internautes friands d’innovations, et pourtant à la recherche de repères. Sur leurs sites Web, les artistes mettent en scène le réseau des réseaux, exploitent ses spécificités et de nouvelles possibilités esthétiques, tentent de « jouer complètement et librement sur le mode interactif (produire du sens au cours de la communication) » (Couchot, 2002) et proposent une posture interactive à l’égard de leurs œuvres. Ainsi, « les frontières entre l’œuvre, l’auteur et le(s) destinataire(s) tendent à s’estomper » et « l’art du web serait un art de la conversation » (Couchot, 2002). De fait, la réception de l’art en ligne ou selon diverses appellations — cyberart, webart, netart — se compose dans le cadre d’une histoire et d’une sociologie de l’art (Heinich, 2001). Des tentatives de typologies témoignent de la difficulté de cerner la création sur Internet. Tout en prenant en compte la potentielle évolution permanente des œuvres en ligne, une proposition de typologie s’appuie sur les formes des œuvres

[…] fermées […] autonomes dont les liens et les nœuds sont internes à l’œuvre [et] ouvertes, c’est-à-dire qu’elles utilisent d’autres pages, sites, images, etc. existant ailleurs sur le réseau, et conçus par d’autres, vers lesquels renvoient les liens établis par le créateur (Bureaud, 1998).

2Une autre définit les sites de création comme des sites présentant des œuvres qui utilisent les spécificités et qualités d’Internet, fondées sur la « virtualité, immatérialité, multiplicité », comme des sites présentant des œuvres qui « […] s’intéressent et explorent exclusivement les interfaces visuelles, prolongeant une recherche plastique [ou] des sites faisant appel à l’internaute dans le processus créatif » (Frespech, 2002). Les œuvres d’art sur Internet sont également pensées comme des « processus algorithmiques […] de nature symbolique » (Popper, 1993).

3Dans ce contexte d’émergence d’expressions artistiques, une double question se pose : comment les internautes consultent-ils les sites d’artistes et dans quelle mesure l’accès aux œuvres interactives peut-il être mis en relation avec les contraintes et potentialités techniques, leurs pratiques culturelles et informatiques ?

4Nous avons dès lors voulu vérifier les deux hypothèses suivantes :

  • les internautes se réfèrent à leur cadre d’usages informatiques et de connaissance des arts pour consulter les sites d’artistes ;

  • ils développent par ailleurs des postures interactives distinctes et complexes selon leur expérience en ligne avec les œuvres.

5Pour ce faire, nous avons mené une étude par enquête d’usages de 12 sites Web d’artistes durant deux mois auprès de 32 internautes rencontrés à deux reprises. Chacun consultait trois sites.

6Une démarche qualitative, puisée dans l’approche de l’appropriation sociale des technologies d’information et de communication (Jouët, 2000), a été adoptée, de façon à observer les usages et à recueillir les propos tenus (au cours des consultations qui duraient en moyenne 13 minutes par site et lors des entretiens d’une durée moyenne de 20 minutes, immédiatement après la consultation des 3 sites proposés) par les internautes rencontrés. Ces derniers n’avaient pas de tâches prescrites, ils naviguaient à leur gré sur les sites indiqués par l’observateur. L’observateur était assis à côté de l’utilisateur, dans différents lieux : des espaces publics (université, bibliothèque, cybercafé) et des espaces privés (domicile, lieu de travail de l’utilisateur).

7Dès lors, les usages ont été étudiés dans le contexte des pratiques Internet des usagers (Proulx, 1994), afin de relever les contournements, les résistances, voire les rejets (Vitalis, 1994). À l’heure où l’on prône la liberté des internautes, il nous a semblé important de veiller sur les réalités des usagers qui ne disposent que de quelques « ruses » (de Certeau, 1980/1990) face au poids de l’offre en ligne, avec laquelle cependant l’usager négocie.

Tableau 1. Les pratiques Internet des usagers

  • 1  Jeunes : moins de 30 ans ; adultes : plus de 30 ans.

Hôtesse d’accueil

Collégien

Retraité

Secrétaire

Informaticien

Étudiante 1 et Étudiant 1

Enseignante 1

4 femmes et 4 hommes

5 jeunes et 3 adultes1

Temps moyen de consultation/site : 9, 13, 13 minutes

Jodi http://www.jodi.org – une œuvre

Lecielestbleu http://www.lecielestbleu.com – plusieurs œuvres de plusieurs artistes

Turux http://www.turux.org – plusieurs œuvres d’un artiste

Femme au foyer

Assistante sociale

Étudiant 2, Étudiante 2 et Étudiante 3

Conseiller en communication

Sculpteur

Enseignant

4 femmes et 4 hommes

4 jeunes et 4 adultes

Temps moyen de consultation/site : 13, 12, 15 minutes

Tate/Mongrel http://www.tate.org.uk/?netart/?mongrel/?home/?default.htm – une œuvre (dans un site de musée)

Adaweb http://adaweb.walkerart.org – plusieurs œuvres de plusieurs artistes

Metaorigine http://metaorigine.free.fr/? – plusieurs œuvres d’un artiste

Lycéen

Commercial

Collégienne

Adjointe administrative

Étudiant 3 et Étudiante 4

Assistante d’édition

Conseiller marketing

4 femmes et 4 hommes

4 jeunes et 4 adultes

Temps moyen de consultation/site : 13, 12, 14 minutes

Cityparadigmshttp://www.cityparadigms.timsoft.com – une œuvre

Panoplie http://www.panoplie.org – plusieurs œuvres de plusieurs artistes

Présentation http://PRESENTAT.IO-N.NET/? – plusieurs œuvres d’un artiste

Sans emploi

Consultant en informatique

Enseignante 2

Étudiant 4

Décoratrice

Photographe, Étudiante/analyste

Concepteur d’expositions

3 femmes et 5 hommes

4 jeunes et 4 adultes

Temps moyen de consultation/site : 12, 12,5, 14 minutes

Postal http://postal.free.fr/? – une œuvre

Rhizome http://www.rhizome.org – site d’information artistique et accès à plusieurs œuvres de plusieurs artistes

Mouchette http://www.mouchette.org – plusieurs œuvres d’un artiste

8Il convient de préciser cette décision méthodologique expérimentale et ethnographique, qui est en adéquation avec la problématique. En effet, si nous n’avions rencontré que des internautes fréquentant des sites Web d’artistes, nous aurions été conduites à analyser prioritairement leurs profils (chercheurs, experts, critiques, artistes), les choix des sites, la façon dont les internautes amateurs d’art sur Internet ont construit leurs pratiques, l’insertion de ces dernières dans celles qui sont préexistantes. Dans un souci heuristique, notre objectif était plutôt d’explorer, par observations et entretiens qualitatifs, des pratiques émergentes et d’analyser la façon dont les internautes profanes (en matière d’art en ligne) se réfèrent à des cadres d’usages préalables pour découvrir et développer des postures interactives.

9Concrètement, en proposant à quatre groupes de huit internautes, pour la grande majorité ne consultant pas sur Internet des sites d’œuvres et d’artistes (sauf parfois le photographe, le sculpteur, le concepteur d’expositions, l’assistante d’édition, les étudiants 1 et 3), de consulter trois sites présélectionnés, selon un découpage en trois variables : site d’une œuvre, site d’un groupe d’artistes et d’œuvres, site d’un artiste, nous voulions, d’une part, vérifier les cadres d’usages et de pratiques auxquels les internautes se référaient pour découvrir les sites d’artistes et d’œuvres interactives et, d’autre part, étudier les postures interactives développées pour vivre de nouvelles expériences esthétiques.

10Tous les internautes rencontrés étaient prévenus de la démarche et ont accepté le protocole d’enquête. À l’occasion de cet engagement, ils semblaient avoir la curiosité de découvrir des sites d’artistes, être attirés par les expériences interactives. L’observateur n’indiquait aucun délai précis de consultation ; de ce fait, certains s’inventaient leurs règles pour découvrir et consulter, indiquant leurs modes d’usage et leurs représentations d’Internet, de l’interactivité, de l’art et des artistes. Lors de la seconde rencontre, tous se sont imposé la consultation des mêmes sites, alors que l’observateur n’avait donné aucune précision. La seule précision indiquait un écart entre les deux rencontres d’au moins une semaine, sans dépasser un délai d’un mois ; en fait, chaque internaute proposait la date de la seconde rencontre. Nous demandions toutefois s’ils étaient retournés sur les sites d’artistes découverts, entre la première et la seconde rencontre.

11L’analyse des données recueillies est organisée de façon à mettre en valeur les expériences selon, d’une part, les compétences informatiques et la connaissance des arts et, d’autre part, leurs interactions ayant pour conséquence des postures interactives différenciées.

Cadre d’usages informatiques et de connaissance des arts

12Pour consulter les 12 sites du corpus, l’ensemble des internautes rencontrés, dotés de l’habitus (Bourdieu, 1979) impliquant leur culture technique et leurs pratiques culturelles, utilisent barres de navigation, hyperliens et autres icônes ne correspondant pas aux interfaces qui leur sont familières. Leurs usages confirment ainsi le besoin de se repérer pour consulter de nouveaux sites, et plus particulièrement des sites d’artistes.

13L’exemple d’un enseignant visitant le site Tate/Mongrel est intéressant à ce titre ; il clique sur la rubrique « Tate Moderne » après avoir sélectionné « Tate Collections », en pensant qu’il y a eu inversion des liens entre Collections et Moderne, étant donné qu’il considère les contenus de la première rubrique comme des œuvres modernes. Cette compétence confirme une connaissance des musées et une capacité de penser la programmation des hyperliens.

14L’exemple d’une adjointe administrative est également intéressant à mentionner : elle change de parcours dans le site Presentation, après avoir visualisé une page, en cours de téléchargement, indiquant « 160/1593 ». Elle estime ce temps « trop long » tout en considérant le fait qu’elle ne sait pas « ce qu’il y a derrière, si cela vaut le coup d’attendre ».

15Des tâtonnements et des tactiques pour rechercher des repères sont alors mis en œuvre de la part des internautes, pour connaître petit à petit le site, vraisemblablement pour comprendre le site ou l’œuvre en ligne et donner un sens à leur exploration, n’ayant pas de but précis à priori.

16Certains gardent une page repère (une liste d’artistes, par exemple ; le photographe notamment), se précipitent vers des liens en bas de page (un enseignant), suivent les mouvements du logo du navigateur, scrutent l’URL, ouvrent la source HTML, cherchent une main en guise d’indicateur d’hyperlien (une étudiante/analyste notamment).

17Avec certains sites (les sites proposant des listes/menus, tels que Rhizome,Adaweb), quelques usagers (étudiante/analyste, conseiller en communication surtout, l’étudiant 4 et l’enseignante 2) adoptent une démarche méthodique, en ouvrant les menus déroulants, en cliquant sur les liens, les images, en commençant de gauche à droite, de haut en bas, selon le mode de lecture linéaire occidentale : « Je veux tout parcourir dans l’ordre. »

18Les sites sont dès lors pensés comme des stocks où l’on a entreposé des contenus à ouvrir et à parcourir. En procédant de la sorte, les internautes font des bilans des contenus parcourus et désirent ne pas se perdre. Nous pouvons toutefois faire l’hypothèse que cette démarche systématique relève d’une volonté de se rassurer, en se référant à des usages préalables, au fil de la découverte d’un site sur Internet pensé potentiellement inépuisable. Les usagers adoptant cette démarche consultent les sites, en « balayant » en quelque sorte les contenus ; en effet, ils ne visent pas à approfondir leur consultation mais à « faire le tour » du site.

19L’étudiante/analyste ne va pas au-delà du deuxième niveau de lien dans les rubriques sélectionnées dans Rhizome, par exemple. La collégienne et l’adjointe administrative cliquent sur les numéros dans l’ordre (1, 2, 3, 4, 5…) en « feuilletant » le site Presentation.

20Lors de sa seconde consultation, le commercial sélectionne les contenus sur la frise (avec le bouton rouge) de Cityparadigms, en fonction de ce qu’il avait vu précédemment, sans approfondir. Il cesse de naviguer quand il a le sentiment d’être parvenu à la dernière page du site.

21Malgré ces tâtonnements, nous constatons un manque de repères et de compréhension qui peut être à l’origine d’échecs ou à l’origine de motivations et d’inventions d’usages pour poursuivre et donner sens à leur navigation dans les sites.

22D’un côté, par manque de repères, les internautes désorientés éprouvent un sentiment d’échec, qui peut provoquer un rejet. Certains souhaitent en effet ne pas revenir sur les sites lors de la seconde rencontre ou abandonnent leur consultation en cours.

23L’assistante d’édition considère que Cityparadigms « est hyper compliqué et complètement obscur » et l’étudiante 4 estime ne pas avoir compris le site :

je ne comprends pas […] peut-être que ce site n’est pas complètement achevé […] quand tu cliques dessus, tu n’arrives nulle part.

24Le conseiller en communication a du mal à se repérer parmi les animations surMetaorigin : « on ne sait pas si ça commence ou si ça finit. »

25Aux problèmes liés à la désorientation s’ajoute « l’ambiance du site », qui n’encourage pas certains usagers à consulter les sites.

26Sur Postal, les usagers qualifient le site : « assez sinistre », « sombre et obscur ». La collégienne, accompagnée de deux amies lors de la seconde consultation, ne comprend pas Presentation : « c’est bizarre, ce site, on sait pas à quoi il sert. »

27Dans le cas de Jodi, le sentiment d’échec est exacerbé par l’affichage non conventionnel des données.

Je ne trouve pas ça ludique. Ça me fait penser à un programme informatique […] j’en ai assez vu,

28déclare en colère et mal à l’aise l’enseignante 1. Pour le retraité :

il n’y a rien de plus illisible, on ne peut même pas reconnaître la page de départ.

29Ce sentiment d’échec donne lieu à deux interprétations :

  1. la reconnaissance de la responsabilité de l’usager dans la situation d’échec. L’étudiant 1 estime : « je n’ai pas compris le sens », en parlant de Turux. Le retraité, à propos de Turux lors de la seconde consultation, s’exclame : « je n’ai toujours pas compris » ;

  2. la non-reconnaissance de cette responsabilité. L’étudiante 1 considère : « ce n’est pas pour moi, cela ne marche pas » en évoquantJodi et Turux. « Il y a une faute, une erreur […] il a un problème, le site », tels sont les propos de l’hôtesse d’accueil en parlant de Jodi. Ne trouvant pas d’ascenseur pour descendre dans l’écran central et voir le bas des œuvres dans Turux, l’enseignante 1 conclut à un bogue.

30D’un autre côté, ce manque de repères est à l’origine de motivations et d’inventions d’usages.

31La collégienne cherche un « mode d’emploi » dans Cityparadigms : « il n’y a rien expliqué. » Mais en persévérant, elle commence à se repérer avec les sons, tout comme l’étudiante 4 qui écoute attentivement ce qu’elle nomme « les bruits de la ville ».

32Lorsque l’étudiant 4 ne parvient pas à aller au-delà de la page d’accueil dansPostal, il s’amuse à dessiner dans l’espace vide (fond noir) avec le curseur des formes « invisibles », au sens où elles n’apparaissent pas sur l’écran : « pour s’amuser, car c’est ennuyeux. »

33L’assistante sociale, ne comprenant pas du tout l’anglais sur le site Adaweb,donne un sens à sa navigation avec l’œuvre Loaded cinq. À partir des photographies et des noms Lisa et Eddy, elle imagine une histoire d’amour, un récit, tel que l’auteur ne l’avait pas prévu.

34Ces internautes semblent avoir besoin de se situer dans l’espace du site. L’expression « chemin » est à ce titre emblématique de cette posture de consultation qui consiste à partir d’une page (d’un lieu) pour aller vers une autre page/lieu, comme s’il fallait parcourir un ensemble de pages séparant un point de départ et un point d’arrivée. Les internautes définissent et trouvent des objectifs, sans forcément les formuler, au fur et à mesure de leur navigation. Dans un rapport à l’œuvre fondé sur la quête de sens (Heinich, 2001), les internautes associent les contenus des sites à des thèmes évocateurs ou à des titres qui les attirent. Ces usagers approfondissent davantage leur consultation par rapport à ceux qui visent un tour complet des sites.

35L’envie de s’engager dans une relation avec les œuvres conduit les internautes à recourir à une imagerie construite à partir d’éléments familiers. La participation au processus créatif se manifeste donc également par la volonté de lier d’anciens repères du monde avec de nouveaux repères du « monde virtuel ». Il s’agit d’établir une cohérence entre ces deux mondes et les usagers éprouvent un besoin de liens concrets avec le réel qui fonctionnent comme des repères visuels et symboliques. En fonction de leurs référents culturels, les usagers rencontrés n’utilisent pas les mêmes images.

36Dans Cityparadigms, les lignes d’une main représentent pour la collégienne « des lignes de métro ». La métaphore est exprimée spontanément, sans volonté de comprendre un message de l’artiste. Accompagnée de ses amies lors de la seconde consultation, la collégienne s’interroge sur la première interface deCityparadigms : « vous trouvez pas que le plan de la ville, c’est un ciel ? »

37L’adjointe administrative, en découvrant le texte « Sophie Calle » qui s’affiche à l’écran dans Panoplie, adopte une posture de lectrice et déclare : « on dirait un bouquin. »

38Dans Jodi, l’enseignante 1 clique sur un carré avec deux lignes qui se croisent, qu’elle interprète comme « une enveloppe », dans laquelle elle trouverait peut-être le message secret pour passer les « pages codées ».

39La manière d’appréhender les œuvres en faisant appel à « des règles de jeux » de la part du lycéen, qui joue régulièrement aux jeux vidéo, illustre aussi cette hypothèse d’un recours à une imagerie composée d’éléments familiers, du réel.

40L’étudiante 1 est familière avec les expositions et Turux lui « rappelle le style d’une exposition » qu’elle a visitée au Palais de Tokyo (Musée d’art contemporain à Paris).

41Le sculpteur et l’enseignant cliquent, de suite en arrivant sur le siteTate/Mongrel, sur « Collections », en référence au musée réel qu’ils connaissent tous deux. D’ailleurs, le sculpteur veut voir ce qu’il peut visiter prochainement à Londres et l’enseignant quant à lui veut revoir des tableaux de Turner qu’il apprécie. Dans Metaorigine, le sculpteur dit très rapidement que le nom du site lui « rappelle quelque chose ». Au fil de sa navigation, il rencontre le nom du peintre Courbet. À partir de ce moment, il dit savoir ce à quoi fait référence le site et critique : « le tableau de Courbet est plus beau. »

42Ainsi, en cherchant des repères, les usagers puisent dans leurs connaissances et expériences préalables, afin de consulter de nouveaux sites, de découvrir des œuvres en ligne. Ces premières observations confirment notre première hypothèse. Une seconde série d’observations des données recueillies permet maintenant d’analyser la culture Internet qui conduit les internautes, confrontés à « la nécessité d’une pensée algorithmique » (Balpe, 2000 : 106), à adopter une posture interactive.

Désir d’agir pour développer une posture interactive

43Dotés de compétences informatiques et d’une connaissance des arts variées, les internautes veulent savoir où ils se trouvent dans le site et cherchent à maîtriser la situation de communication médiatisée par ordinateur (CMO, 2001). Pour ce faire, ils se réfèrent aux récentes normes d’usages du Web certes, mais toutefois prégnantes et associées aux critères d’efficacité et de performance. Des internautes acceptent d’être surpris, tentent de se créer de nouveaux repères et sont fiers d’établir une posture interactive.

44Certains usagers développent prioritairement des logiques d’actions pour appréhender les sites, explorer les possibilités de transformation des œuvres interactives.

45Le consultant en informatique explore les sites en sélectionnant tous les liens qu’il découvre, mais ne manifeste aucun intérêt pour le contenu (le sens des œuvres). Toute son attention est focalisée sur l’action, ce qu’il peut faire et comment il peut agir (les conséquences de ses sélections sur les œuvres). Dans le site Mouchette, il ne s’intéresse qu’aux signes « mouches », et ce, toujours sur un registre technique : « on ne voit pas les liens, ce n’est pas bien fait. »

46Dans Jodi, l’informaticien regarde la source de la page afin de vérifier s’il y a un bogue. Il mène ensuite une autre opération : il copie un extrait des données et le colle dans un courriel pour les voir dans un caractère plus grand. Une fois qu’elles sont agrandies, les données lui apparaissent plus claires : « oui, un programme pour jeu », il en conclut : « c’est du C. »

47Dans tous les sites consultés, le conseiller en communication utilise les menus déroulants et cherche toujours à ouvrir un menu contextuel grâce au bouton droit de la souris pour être dans une position de choix.

48N’arrivant pas à utiliser la fenêtre de Cityparadigms, après avoir pourtant rempli la carte de visite (passage obligé pour entrer dans le site), le conseiller marketing revient sur la page d’accueil, par dépit semble-t-il. Et comme pour se rassurer qu’il est performant sur Internet, il clique sur les liens informationnels en bas d’écran. De fait, pour contourner l’accès à l’œuvre qui le déstabilise, il vise des rubriques rassurant ses usages préexistants.

49La collégienne veut pouvoir utiliser le clavardage dans Cityparadigms, qu’elle s’est acharnée à télécharger à plusieurs reprises sans résultat, la rubrique « people » ou encore réutiliser son « pseudo » (durant la même consultation). N’y parvenant pas, elle se fâche et son manque volontaire de précaution (clics de souris assez violents) l’entraîne à découvrir des interfaces qu’elle ne cherchait pas. Elle adopte alors une posture de joueur, projetée dans un univers aux règles actualisées par l’affichage des écrans. L’usager se laisse déplacer dans les aléas interactifs, qu’elle provoque et rencontre. La seule raison qui la fait s’interrompre volontairement est le temps (social) qui défile.

50Il semble que les internautes revendiquent une responsabilité dans l’acte de création, dans la mesure où il y a une volonté auctoriale de manipuler les œuvres à leur convenance, de contrôler la situation en ligne et de partager cette responsabilité avec l’auteur du site, et ce, même si le site ne permet pas, de façon fonctionnelle, à l’usager de participer. Les représentations d’Internet — notamment le pouvoir par l’interactivité informatique et la transparence de tout voir — les conduisent en effet à adopter une attitude de prise de pouvoir. Se joue alors la conquête d’une interactivité dont les internautes sont les acteurs, participant à l’évolution de l’œuvre en ligne et dont la définition dépasse la simple possibilité de sélection.

51L’assistante d’édition apprécie dans Panoplie le principe de devoir chercher les liens et le sentiment de créer : « c’est moi qui fais la page » dans l’œuvrePortraits crachés. Elle choisit les phrases qu’elle souhaite faire apparaître sur la page : « c’est moi qui fais bouger. »

52Quand l’enseignante 1 se rend compte que ses manipulations de la souris agissent sur l’image dans Lecielestbleu, elle sourit et déclare : « c’est moi ! » À partir de cette expérience, elle n’attend plus le déclenchement automatique d’une animation après sa sélection, elle intervient dans l’image et s’amuse par exemple à faire courir les girafes, à manipuler un œil. Elle revendique d’ailleurs le fait que c’est elle qui fait « vivre » les personnages et objets en ligne. Elle est fière de se sentir actrice de ce déroulé de multimédias en ligne et plusieurs expériences la ravissent.

53Selon la collégienne, « si ça bouge tout seul, s’il n’y a pas de main, alors on ne peut rien faire » dans un site. Cette adolescente cherche exclusivement à se placer comme coauteure, pour agir sur les œuvres et participer à leur évolution en ligne.

54L’adjointe administrative éprouve un sentiment similaire avec le sitePresentation ; elle « n’aime pas quand un site s’anime seul ». Aussi, elle dit vouloir jouer, agir (et précise) s’il ne s’agit pas de sites d’information.

55Le collégien apprécie le fait que son mouvement « fasse bouger les croix » pour une œuvre de Turux. Ce qui intéresse l’adolescent, c’est de pouvoir agir, de « pouvoir faire quelque chose ». Pour l’œuvre Clarinet Demo dans le siteLecielestbleu, il explique qu’il compose lui-même la mélodie, grâce à la façon dont il déplace les danseuses. Il s’identifie à l’auteur de la musique.

56L’étudiant 1, dès la première consultation, s’attarde uniquement sur les œuvres interactives du site Turux, sur lesquelles il pense avoir un rôle à jouer. Il s’interroge sur ce que son action produit sur l’œuvre : « on va voir ce que cela donne si je fais cela. » Il apprécie ce site dont il considère les œuvres comme « plus que des peintures vivantes, même si les contraintes sont toujours délimitées par l’auteur ».

57Le retraité souhaite lui aussi pouvoir intervenir, mélanger ce qu’il nomme « les différentes animations » dans Turux pour pouvoir créer son œuvre à partir de celles qui sont proposées. Il s’interroge sur sa propre participation : « qu’est-ce que je fais ? Comment cela agit ? » De même apprécie-t-il, dans siteLecielestbleu, avec l’œuvre Cellos de pouvoir composer « soi-même le mouvement », même si « il faut se concentrer pour y arriver ». Il évoque la présence de murs (limites de l’écran) pour comprendre comment il fait exploser un insecte : « c’est quand je le lâche ou quand je le projette sur un mur que cela explose » dans l’œuvre Lucarnus servus. Il se demande, concernant Flying Girafes, s’il peut « faire rentrer les girafes les unes dans les autres ». Il veut distinguer ce qui relève de son action sur l’œuvre : « est-ce que c’est moi qui décide ou est-ce que c’est lui [l’auteur du site] ? »

58Pour plusieurs usagers rencontrés (étudiante/analyste, enseignante 1, collégienne, adjointe administrative, secrétaire, retraité, conseiller en communication), il s’agit d’expériences d’interactivité inédites. Mais, pour tous les internautes, il est important d’explorer les sites à leur guise et s’ils ont le sentiment d’être dans l’impossibilité d’agir, ils n’apprécient pas, sont mal à l’aise, agacés et vexés.

59L’hôtesse d’accueil s’étonne de ne pas pouvoir agir sur le choix de la direction que va prendre le personnage de l’œuvre Paper Dream, dans le siteLecielestbleu. Elle souhaiterait aller vers la droite alors qu’elle ne peut aller que vers la gauche. Dans son expérience se manifeste un désir d’autonomie.

60L’étudiante 2 clique sur la première photographie de Metaorigine et la referme aussitôt. Mais, elle s’aperçoit qu’elle réapparaît sous une autre forme. Elle s’énerve, car elle a le sentiment d’être obligée de regarder ce qu’elle ne souhaite pas : « on m’oblige ! »

61La femme au foyer refuse d’être guidée sur Adaweb et réagit mal devant l’œuvre Vertical blanking interval, car à plusieurs reprises le mot « submit » apparaît. Face à cette injonction, elle décide de cesser de naviguer sur ce site.

62Dans Cityparadigms, la collégienne exige pouvoir sélectionner sa couleur préférée (comme l’adjointe administrative et le conseiller en communication) dans la carte de visite à remplir avant d’entrer dans le site. Elle veut que son action soit prise en compte dans le cadre d’une cohérence en termes de question/réponse, entre le client et le serveur, l’usager et l’interface.

63En nous appuyant sur cette volonté d’autonomie observée, nous pouvons faire l’hypothèse que l’usager s’émancipe en s’appropriant l’œuvre et en tentant de contourner les possibilités prescrites, les contraintes imposées par l’auteur, pour créer son propre parcours.

64L’enseignante 2 intervient dans l’ordre de défilement des pages dans Postalpensé par l’auteur, en changeant les numéros de page dans l’adresse URL. Ainsi, elle contrôle « ce récit d’un voyage abstrait » en inversant à sa guise les étapes : début, milieu, fin. Cette initiative est née d’une impatience (lenteur du défilement des phrases selon elle), en accélérant l’ordre des numéros. Mais la voix se trouve décalée par rapport au contenu visuel, créant un tout autre contexte de consultation. De fait, elle contourne le chemin prévu dans les pages du site par l’artiste.

65Dans Panoplie, l’étudiant 3 visionne à deux reprises une œuvre et déclare : « Et dire que je n’ai jamais vu la mer. » La première fois, il se laisse guider par la vitesse et le cadrage prévus pour cette vidéo. Mais en apercevant une image fugace (selon lui : une femme qui semble inanimée), il souhaite revenir une seconde fois sur cette œuvre pour vérifier s’il s’agit bien d’une femme : « je veux voir si on peut aller saisir l’image de cette fille. » Pour cela, il utilise la fonction zoom dans le navigateur, ce qui rallonge le temps initialement prévu de visionnage et modifie l’image appréhendée puisqu’elle est grossie. En outre, il contrôle son déroulement, tout en approfondissant son rapport à l’œuvre. Au lieu de l’appréhender dans sa globalité, il se concentre sur un moment particulier et ôte le caractère mystérieux, étrange de ce plan. En ce sens, on peut dire qu’il y a une transformation du rapport à l’œuvre par l’usager.

66Ces deux précédents usagers jouissent d’une véritable autonomie par rapport à l’inscription auctoriale. Sans aller jusqu’à inventer de nouveaux « objets multimédias », les usagers s’approprient à leur façon les œuvres, détournent les chemins prévus par les auteurs, ne s’accommodant pas des contraintes imposées, particulièrement quand ils supposent qu’il y a des éléments auxquels ils ne peuvent avoir accès. Les travaux sur l’esthétique de la réception (Jauss, 1978) ont bien mis en relief la dimension active du public ou la lecture négociée, tout en prenant en compte les inégalités d’accès à la culture. En effet, l’activité des internautes sur les sites va dépendre des compétences techniques et d’interprétation des œuvres. En fonction du contexte social et culturel, ces situations de réception confirment la coproduction de sens et non pas un sens à décrypter, interpréter. Le sens n’est pas complètement inscrit dans l’œuvre à décoder, mais il est produit par l’acte de réception, tout en se référant aux modèles de réception légitime et savante. De fait, les usagers coconstruisent le sens (Angé, 2003) dont l’auteur n’a pas l’exclusivité et peuvent parfois détourner les fonctionnalités et les dispositifs techniques. Mais le processus de réception des usagers, qui mettent en œuvre des tactiques, se fait face aux stratégies des auteurs (de Certeau, 1990). Les sites ne sont donc pas seulement ouverts à tous les internautes-passants, ils suggèrent des espaces de rencontres, d’échanges et de contributions.

67Outre les logiques d’actions observées pour découvrir et explorer les sites d’artistes, nous avons relevé au cours des navigations une réelle volonté de comprendre, d’interpréter les œuvres par l’observation et par l’écoute, dans une position de recul, de prise de distance corporelle face à l’œuvre (du fait de la non-intervention). Les usagers ne privilégient pas une intervention active grâce aux interfaces fonctionnelles (clavier, souris, barres de navigation), mais l’observation. Cette posture « esthétique classique » à l’égard d’une œuvre passe par une appréhension visuelle indépendamment de l’interface interactive. Nous illustrons ce développement avec deux expériences distinctes singulières.

68L’hôtesse d’accueil sélectionne l’œuvre Dream for diesel dans Lecielestbleu. La première interface met en scène un paysage champêtre, avec des tournesols qui semblent se mouvoir dans l’image, une bande sonore accompagne cette image. Les couleurs vives accentuent la dimension ludique de cette scène. Cette utilisatrice lâche la souris et contemple les fleurs en commentant : « je trouve que cela est génial. » Elle semble avoir été séduite par l’image et l’interprète sans même avoir découvert les manipulations possibles. En effet, l’utilisateur peut faire évoluer les fleurs (agrandissement/rétrécissement) en les sélectionnant, mais l’hôtesse d’accueil n’intervient pas pour leur donner une autre forme. Ce comportement est quasiment constant dans son appréhension des œuvres interactives. L’œuvre mosaïque dans ce site accentue cette attitude par la profusion d’images qui se succèdent. Il s’agit de rectangles qui se superposent avec une multitude de couleurs et de formes difficilement identifiables ; on peut y distinguer des visages. De la même manière, elle se détache de la souris et procède à une analyse approfondie de l’œuvre. Elle décompose l’image en montrant du doigt les éléments qu’elle interprète :

Je pense que cela correspond à une critique des journaux télévisés qui utilisent une succession d’images sans laisser le temps de la réflexion au spectateur.

69L’interprétation qu’elle fait des œuvres exclut dans une certaine mesure l’action sur l’œuvre et se limite à une expérience qui passe plus par l’observation que par l’action.

70L’étudiante 1, en diplôme d’études supérieures spécialisées « action artistique et politiques culturelles », familière avec les expositions (elle fait référence à une visite récente dans un musée lors de la consultation), se comporte d’une manière assez similaire, notamment lors de la navigation sur le site Turux. Ce site met en scène des photographies et des images « activables » puisque l’utilisateur peut interagir pour transformer les œuvres. La difficulté réside dans la compréhension des signes qui nécessite plusieurs manipulations pour saisir le lien entre les signifiants (chiffres) et les signifiés (sens de ces chiffres par rapport aux transformations des œuvres). L’étudiante 1 lit d’abord les chiffres et le texte sans cliquer sur les mots soulignés susceptibles d’être des liens. Elle s’interroge sur le sens des mots tout en adoptant une posture distanciée face au site. Sa démarche d’observation ne passe pas par la manipulation mais par la visualisation des éléments changeant sur l’œuvre sélectionnée. Elle évoquera tout au long de la consultation « la ressemblance entre l’ambiance du site et une exposition au Palais de Tokyo ».

71Pour explorer les œuvres interactives sur Internet, des usagers développent donc des logiques d’actions et d’autres, une volonté de comprendre et d’interpréter par l’observation et par l’écoute, tout en s’appuyant sur leurs compétences informatiques et leurs expériences esthétiques. Ces postures d’usages de sites Web d’artistes donnent lieu à des émotions inédites.

Émotions inédites et rencontres avec l’artiste

72Les internautes découvrent les œuvres à l’écran et en les manipulant, ils inventent leurs rapports aux œuvres et à l’artiste par l’interactivité.

73L’adjointe administrative dans Cityparadigms est ravie de provoquer les évolutions des œuvres et remarque que les musiques changent en fonction des univers dans lesquels elle entre : « on dirait qu’on va être transporté autre part. » En effet, les ambiances sonores constituent pour elle de nouveaux repères, après plusieurs minutes de tâtonnements. Dans Panoplie, l’adjointe administrative découvre des rubriques affichées verticalement, ce qui l’intrigue. Elle penche la tête pour lire les noms de rubriques. Mais elle ne se sent pas très à l’aise : « quand on sait que c’est de l’art, on n’a pas de but précis, on cherche pas pareil », comparant avec les sites d’information qu’elle a l’habitude de consulter sur Internet.

74Quand la collégienne arrive à dépasser ses échecs de consultation, elle apprécie d’entrer dans l’univers de l’œuvre Cityparadigms. Avec conviction, elle déplace le bouton rouge sur la ligne horizontale : « je ne sais pas à quoi sert ce site, mais c’est pas grave », dit-elle enjouée. Chaque interface devient une surface de jeux : mosaïque, puzzle, objets mouvants, zooms. Dans une image, elle pense avoir trouvé le moyen de marquer ses initiales, ce qui n’est absolument pas prévu par l’artiste. L’idée est de s’inventer des règles, qui n’existent pas, mais qui côtoient celles qui sont contenues dans les objets multimédias et interactifs, de façon à marquer sa présence dans le site, tel un dialogue avec l’œuvre.

75Au-delà de la relation qui implique l’usager dans l’œuvre se manifeste la figure de l’auteur. Les internautes font référence à l’artiste (niveau artistique), au concepteur (niveau technique) sans forcément savoir à qui ils s’adressent. Explicitement ou non, ils sont conscients de son contrôle sur l’œuvre, de sa présence. L’interactivité devient le lieu d’une action qui permet d’instaurer un contact entre l’œuvre, l’internaute et l’artiste. Les usagers ont besoin de dialoguer avec l’artiste surtout quand ils atteignent les limites des possibilités avec l’œuvre. Ce contact peut prendre la forme d’un dialogue certes par l’interactivité dont sont dotées les œuvres, mais aussi de remarques, de questions sur les intentions, de critiques de l’usager qui s’adresse, à voix haute, à un auteur absent.

76Le recueil de ces propos nous conduit à deux remarques. D’une part, l’auteur ne revêt pas la même identité, il peut être « la personne, un artiste, ils, il ». Soulevons au passage la figure indéterminée de l’artiste sur Internet, puisque les sites de notre corpus ne s’ouvrent pas sur des génériques, comme on peut les lire dans un cédérom, un film. D’autre part, une disparité apparaît entre les représentations que les usagers ont de l’auteur : tantôt il est créateur d’un projet artistique, tantôt concepteur d’un dispositif technique. L’auteur est alternativement représenté comme un artiste ou un concepteur et certains usagers s’adressent en priorité à l’artiste, d’autres, au concepteur.

77Pour l’étudiante/analyste, l’artiste ne peut pas programmer et elle distingue donc un artiste d’un programmeur : « l’artiste a dû faire appel à un informaticien pour programmer et réaliser le site. » L’étudiante/analyste dit « chercher une communication avec l’artiste », notamment grâce aux « fenêtres qui interpellent, avec <tell me> par exemple » dans le siteMouchette. Elle a la sensation qu’il y a un « message de l’artiste » et aimerait bien avoir son explication.

78L’adjointe administrative incarne soit l’auteur du site, soit le programme, dans un « il », qui de plus serait doué d’une volonté : « il faut comprendre ce qu’il veut. ». Lors de l’entretien, nous comprenons que l’usager perçoit une sensibilité masculine dans Cityparadigms : « ça fait penser à un garçon », mais nous maintenons le doute sur l’incarnation entre homme et programme informatique. En effet, l’usager ne parle pas d’un auteur, artiste, mais d’un « ça ». Avec Panoplie ensuite, il s’agit d’un site d’une fille selon elle : « c’est plus romantique, c’est une fille. »

79Pour l’enseignant, le clic de souris permet d’interrompre l’œuvre en ligne, mais il préfère l’utiliser parcimonieusement, avec des « gestes hésitants », pour être sûr de ne pas couper et respecter les chemins proposés par l’artiste. Les sites consultés sont, pour lui, « narratifs » et permettent d’entrer dans les univers des artistes, il s’agit d’être « délicat ». L’interactivité, selon lui, c’est la possibilité d’entrer dans l’univers d’un auteur ou d’un collectif d’auteurs. Les « œuvres en ligne » sont avant tout des « œuvres réelles numérisées » et il se sent « loin du Net Art ».

80L’assistante d’édition, en évoquant l’œuvre Portraits crachés dans Panoplie,souligne le caractère « hermétique et compliqué de leur communication ». Elle considère que « ces concepteurs sont des précurseurs » en matière d’interactivité. Les artistes se confondent alors avec les concepteurs.

81L’étudiant 3 s’adresse aux artistes à plusieurs reprises, à propos de Portraits crachés : « je ne sais pas où ils veulent en venir encore une fois. » Il ne comprend pas « pourquoi ils se donnent autant de mal si ce n’est pas pour être compris ».

82L’étudiante 1 se plaint de ne pas comprendre de quoi « ils » traitent dans Turux,de manquer d’information sur le but du projet artistique dans le siteLecielestbleu : « ils ne s’expliquent pas. »

83Le dialogue avec l’artiste et le rapport concret qui s’établit avec les œuvres constituent une scène des émotions, qui impliquent le corps.

Plaisir, corps et émotions

84L’appréciation subjective et le plaisir sont présents tout au long de la navigation et ne relèvent pas seulement d’émotions liées aux qualités esthétiques des œuvres, tel que nous avons pu l’entendre auprès de l’assistante d’édition, familière avec les expositions de photographies, qui évoque sur Panoplie : « c’est très beau, c’est hyper graphique […] c’est un vrai plaisir pour les yeux. »

85Le plaisir relève aussi de l’implication active de l’usager par l’interactivité programmée.

86L’enseignante 1 éprouve du plaisir quand elle se sent actrice des multimédias en ligne (dans Turux et Lecielestbleu) : « c’est moi qui fais le tableau. C’est interactif. » Elle avoue aimer adopter la position du peintre et adore « faire des dessins abstraits », car, précise-t-elle, les contraintes de sens et de représentations sont absentes et « la spontanéité favorisée ». Elle a envie d’entrer dans l’univers de l’artiste et expérimente sa relation avec les œuvres dans lesquelles elle peut intervenir, en répétant des gestes avec bonheur.

87L’adjointe administrative s’amuse énormément en visualisant une série de vidéos (jeune homme dans une cuisine, un escalier roulant, au bord de la mer), dans Panoplie. Sa seconde consultation est d’ailleurs encore plus éclairante à ce sujet, elle déclare en se connectant : « c’est mon copain », joyeuse à l’idée de retrouver ces vidéos, faisant preuve d’une connivence établie dans le sitePanoplie.

88Le plaisir relève encore de la qualité humoristique de l’œuvre, comme le révèlent les propos de l’étudiant 1 et du collégien : « c’est marrant. »

89L’étudiante 1 apprécie l’œuvre Greetings dans Lecielestbleu, le fait de pouvoir transformer l’aspect des girafes l’amuse. Par contre, elle estime ne ressentir aucune « émotion » pour Jodi, l’émotion étant un critère d’appréciation pour cette usager.

90Entre plaisir et étonnement sur Adaweb, le sculpteur apprécie l’espace d’un instant de faire ce qui est demandé ; il tape au clavier « L O V E », il joue avec une marguerite, comme s’il le faisait physiquement. Le concepteur d’expositions apprécie le fait de toucher par l’intermédiaire de la souris les expressions : « see me », « come closer » dans Mouchette. Provoqué par l’interpellation de l’auteur du site, il dit « oui » à voix haute, avant de cliquer, comme pour répondre à l’auteur par le site. Quand il y a une question, il répond à voix haute, quand une image se dévoile au passage de la souris, il déclare : « ça me fait plaisir. »

91La collégienne semble impliquer son corps dans les émotions rencontrées dansCityparadigms ; commander avec la souris, tel est l’objectif ludique de la collégienne : « je veux voir là. » Le « là » est tout à fait évocateur de ce rapport physique à un univers immatériel. Durant sa seconde consultation, la collégienne est accompagnée de ses deux amies, qui ont de fait consulté par procuration (Cityparadigms, Panoplie et Presentation) : « c’est toi qui le fais », déclare l’une des deux amies. Le contexte d’usage collectif a permis à la collégienne de nouvelles manipulations, qu’elle n’avait pas découvertes seule et elle en est fort satisfaite.

92Avec l’œuvre Paper dream demo dans Lecielestbleu, l’expérience de l’hôtesse d’accueil permet de saisir la rencontre avec une œuvre en ligne : elle parle au personnage comme s’il pouvait l’entendre, s’inquiète pour lui quand il tombe ou dès qu’il est recouvert par l’eau en lui disant :

tu vas te noyer, […] on ne va pas le laisser tenir trop longtemps sous l’eau sinon il n’aura plus de souffle.

93Dans le site Mouchette, le concepteur d’expositions décide de ne pas suivre ce qu’une interface lui propose : « elle ne croit pas que je vais l’aider à se suicider quand même ! » Cette réaction confirme un dialogue médiatisé par ordinateur avec un personnage virtuel et la volonté de choisir et de décider de l’usager. De plus, en ne passant pas à l’acte par l’interactivité, l’usager fait vivre un monde virtuel suggéré par l’artiste.

94Les émotions peuvent également se déclarer par des appréciations négatives. Ainsi, en découvrant par hasard à partir de Tate/Mongrel un texte « NetArt », le sculpteur déclare : « un peu d’air ! » Son exclamation prouve l’état d’esprit dans lequel il se trouvait sur Tate/Mongrel : sans respiration.

95Les émotions peuvent encore se déclarer par des sentiments qui relèvent du bizarre. Mouchette a suscité chez l’étudiant 4, l’enseignante 2, la décoratrice et l’homme sans emploi des émotions particulièrement centrées sur les mouches, tant en ce qui concerne le graphisme, le nom du site que les hyperliens : « cela a l’air drôle toutes ses petites mouches », « c’est mignon, sympa mais un peu spécial », « ça, c’est un nom qui a du sens », « je le trouve assez fascinant et puissant », « l’aspect violent et morbide ». Ces plaisirs stimulent leur navigation.

Vers une culture de l’interactivité ?

96Au terme de cette analyse d’expériences interactives, il est essentiel de souligner la façon dont les usagers s’approprient les 12 sites d’artistes et d’œuvres de ce corpus, selon leurs compétences, centres d’intérêt, habitudes, imaginaires, participant de l’invention des contours, variés et subtils, de leur regard sur les œuvres en ligne et de leur posture interactive dans les sites. Les internautes résistent, agissent, dans la mesure des possibilités techniques et relatives aux intentions des auteurs. Leur posture interactive se situe donc sur le terrain du concepteur. De fait, les tâtonnements, les ajustements et les affrontements procurent des plaisirs avec la machine et les œuvres, développant des situations inédites de réception de l’art (Heinich, 2001 : 46-57) et d’usages des technologies de l’information et de la communication.

97À partir de l’analyse des usages de ces 12 sites d’artistes, nous constatons des émotions à l’égard des œuvres en ligne. Celles-ci émanent notamment des interventions de chaque usager sur et avec les œuvres, dans le cadre d’une rencontre (Bourriaud, 2001 : 21) ou d’une « esthétique de la communication » (Forest, 1995). Les relations entre œuvres et usagers, médiatisées par ordinateur, font dès lors partie de l’émotion et nous faisons l’hypothèse qu’elles participent d’une esthétique de l’interactivité, qui semble confondre esthétique, émotion et ergonomie.

98Après la culture des écrans, la culture informatique, la culture Internet émergerait-il — par addition et non par substitution — une culture de l’interactivité ? L’internaute se trouve au cœur d’un processus continu de l’innovation technique et de l’œuvre interactive, auquel il prend part en tant qu’usager.

99Ces expériences esthétiques et interactives s’inscrivent dans des cadres de référence préexistants, comme le débit des réseaux, l’encombrement de l’accès au site, la taille de la mémoire de l’ordinateur, qui sont autant de critères qui guident les choix de consultation et de navigation dans les sites des artistes. Ces contraintes techniques deviennent des critères pour choisir la lecture d’un texte, la visualisation d’une image, l’écoute d’un son, une expérience à vivre. Les internautes se sont en outre approprié les « signes-passeurs » (Souchier, Jeanneret et Le Marec, 2003), qui fournissent les modalités d’accès aux objets (textes, sons, images) révélés à l’écran et qui font sens lors de la navigation sur Internet. Ils puisent dans des normes d’usages (le clic sur l’hyperlien par exemple) tout en tirant le fil d’une consultation singulière. Le rapport concret à l’écran, à la souris, au clavier, au logiciel de navigation (les interfaces fonctionnelles les plus courantes pour se connecter à Internet) place l’internaute en effet dans une posture identique quel que soit le site.

100Nous constatons que les internautes évoquent leurs habitudes sur Internet lorsqu’ils accèdent aux sites d’artistes, notamment la consultation des sites informationnels. De fait, les internautes n’ayant pas ou peu développé d’expériences esthétiques, ne fréquentant pas les lieux de médiation artistique, se référent prioritairement au mode de consultation d’information sur Internet, aux modalités du simple clic de souris. Mais ils croisent cette expérience en ligne avec leurs représentations de l’artiste dans la société : l’artiste surprend et dans un horizon d’attente, ils se laissent aller au plaisir et à l’agacement d’être surpris (puisque l’artiste provoque, brise la routine de la consultation d’information en ligne). Certains internautes se réfèrent également à leur expérience relative aux visites d’expositions et de musées. Une étude des usages de multimédias de musée (Vidal, 2003) a montré les interactions entre les pratiques de musée et de multimédia et précisément le fait que les utilisateurs-visiteurs de musées puisaient dans leur connaissance du musée pour consulter les multimédias du même musée visité.

101Si nous mettons en relation les usages de sites d’artistes sur Internet avec d’une part les usages courants de sites informationnels, nous relevons le fait que les sites d’artistes ne cherchent pas spécialement à informer, à transmettre, à expliquer, ni non plus à se conformer aux modalités de l’interactivité, telles que celles sur les sites Web proposant des informations-actualités à consulter. D’autre part, si nous mettons en relation les usages de sites d’artistes sur Internet avec les visites d’expositions et de musées, qui proposent de plus en plus d’interactifs et de dispositifs multimédias mobiles, dans le cadre de nouvelles médiations techniques et muséographiques, nous relevons le fait que l’accès unique aux œuvres, par l’écran, s’opère sur la base des logiques industrielles propres à l’informatique et aux télécommunications et peut conduire à une perte de « l’aura » de l’œuvre (Benjamin, 1936/2003). La posture interactive participe dès lors d’une nouvelle relation médiatisée entre les usagers et les contenus muséaux (Vidal, 2003) ou les œuvres d’artistes découverts sur Internet. D’ailleurs, la quasi-absence de solennité observée à l’égard des œuvres interactives sur Internet proviendrait-elle de ce rapport ludique à Internet, aux hypermédias, aux ordinateurs et aux écrans ou de la technicisation du procès de la réception de l’art et de la communication ?

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Bibliographie

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Notes

1  Jeunes : moins de 30 ans ; adultes : plus de 30 ans.

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Pour citer cet article

Référence papier

Geneviève Vidal, « Art & Web », Communication, Vol. 24/1 | 2005, 38-64.

Référence électronique

Geneviève Vidal, « Art & Web », Communication [En ligne], Vol. 24/1 | 2005, mis en ligne le 14 août 2012, consulté le 04 mars 2014. URL : http://communication.revues.org/3250 ; DOI : 10.4000/communication.3250

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Auteur

Geneviève Vidal

Geneviève Vidal est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, LabSic, Université Paris 13, MSH Paris Nord. Courriel : gvidal@sic.univ-paris13.fr. L’auteure tient à souligner la collaboration de Caroline Angé, doctorante en sciences de l’information et de la communication, LabSic, Université Paris 13.

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