La création au risque d’Internet


La création au risque d’Internet 
Mouchette (1996-2006) : œuvre et/ou artiste ?
Jean-Paul Fourmentraux
Université Lille 3 – ufr Arts et Culture
Groupe d’Études et de Recherche Interdisciplinaire en Information et Communication (geriico)

Internet transforme les processus de définition d’une activité ou d’une œuvre comme « artistique » et les manières dont les créateurs y vivent, y façonnent et y affirment leur identité d’artiste. Cet article propose l’ethnographie d’un projet développé à l’interface d’Internet et des mondes de l’art contemporain : Mouchette (1996-2006). Tout en mettant l’accent sur l’ambivalence de son inscription clivée entre le réseau et la scène artistique, il s’agit d’en exposer les paramètres interactifs de production, qui oscillent entre les initiatives de l’artiste, les innovations informatiques et les interactions avec le public.

Pdf archivé ici: Fourmentraux_ETHNOLOGIE.FRANCAISE_113_2008

Un Extrait:

Œuvre/identité virtuelle et art de la captation
Dans l’univers des médias, un engagement plus « expressiviste » se lit
aujourd’hui à travers l’essor et la multiplication des dispositifs
d’autoproduction ou de production de soi que constituent les sites
personnels, les blogs et leurs technologies appareillées (syndication et tags,
halshs-00372585, version 1 – 1 Apr 2009
podcasting, video-blogging…) ainsi que les réseaux d’échanges entre pairs
et leurs pratiques associées (fansubbing, fansfilms…). Depuis la seconde
moitié des années 1990, le Net art guide et préfigure ces usages de l’Internet
grand public à travers une mise en abîme de l’ambivalence de la relation au
réseau, tantôt intime et terriblement solitaire, vécue comme un retrait du
monde réel, tantôt plus collective et communautaire, à mesure que se
développent de nouvelles interfaces de dialogue. Exemplaire de ce
mouvement, Mouchette [1] se présente sur le Web comme un avatar inspiré
du film éponyme de Robert Bresson (1967 [2]), auto-(re)produisant ainsi
depuis 1996 les aléas et la personnalité d’une adolescente hollandaise
confrontée aux périls du suicide et de la pornographie pédophile. Le site
transpose sur Internet le « genre » de la page personnelle en tant que
construction fantasmatique, suivant la logique d’un journal intime qui met en
scène, sur un ton de provocation, les frontières entre vie artistique et vie
privée [3].
Au-delà de son esthétique volontairement kitsch, contrastée par une
succession d’images et de sons toujours plus obscurs et troublants, une
première spécificité et un ressort important de Mouchette résident dans
l’établissement d’un échange personnalisé, visant à construire et à entretenir,
à l’écart de toute médiation extérieure, une liaison quasi amoureuse avec le
public. À cet égard, l’expérience de Mouchette permet à l’internaute, et au
sociologue, d’entrevoir et de comprendre comment le Net art parvient à créer
une relation de proximité et un rapport intime entre un dispositif interactif et
celui qui le consulte. La problématisation des liens entre fiction et réalité,
l’invention d’un personnage virtuel et la question de l’identité artistique
constituent les thèmes de prédilection de Mouchette dont l’enjeu est de
redéployer sur le réseau la base du concept de personnage, ses fonctions, ses
programmes, ses modes de relation avec le public.



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